La 6e édition de la School of Product, l’un des plus grands événements produit de l’année en France, se tenait le 21 novembre dernier à la Cinémathèque. Le Ticket y était. On vous retrace le film de la journée.
⌛ 10 minutes de lecture pour monter les marches (et en compétences)
✉️ Article issu du Ticket n°070
Quand le monde du produit rencontre celui du 7e art. Après le Product Management Festival à Zurich il y a quelques semaines, c’est au tour de la School of Product d’investir les salles obscures. Pour sa 6e édition, l’événement sur le product management organisé par Octo (anciennement Benext) a, comme l’an passé, pris ses quartiers à la Cinémathèque française, à Paris.
En arrivant, les 500 participantes et participants ont pu y croiser le regard curieux d’Agnès Varda, dont l’impressionnante affiche, signée JR, surplombait l’entrée (pour l’exposition du moment “Viva Varda !”). Quoique involontaire, ce clin d’œil était finalement très à propos.
À l’image de la cinéaste décédée en 2019, cette “School” s’est en effet révélée très engagée, très libre, très iconoclaste et très féministe (100 % d’oratrices dans la distribution). Une vraie (nouvelle) vague de fraîcheur. Voici notre synthèse en 10 moments clés, afin de t’aider à faire ta sélection des replays à regarder, quand ils seront en ligne.
1. “La déconsommation ? C’est pas si grave…”
Le ton est donné. 1ère conf’ de la journée, salle principale : “Repenser les produits et services à l’ère de la déconsommation”. Avec cela, pas besoin de manifeste sur l’esprit de la journée (histoire de bien enfoncer le clou, l’intervention suivante portait sur l’innovation frugale).
Sur scène, on ne retrouve pas une ponte du Product Management mais… une prospectiviste. Directrice d’études à Futuribles, un centre de réflexion sur l’avenir, Cécile Désaunay nous pose le cadre : à la suite des Trente Glorieuses, nos sociétés (du moins européennes) vivent une croissance économique de moins en moins élevée et semblent tendre vers la déconsommation, le fait de moins consommer.
La raison première est “celle qui ne vient pourtant jamais à l’esprit” : le vieillissement de la population. En effet, plus on devient grisonnant, moins on consomme (en proportion de ses revenus). Exemples : la viande (on a moins besoin de protéines) ou les vêtements.
Autres explications à cette tendance ?
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- L’effet de satiété (on a déjà assez avec tout ce que l’on a)
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- La limite financière (le pouvoir d’achat augmente moins vite que les dépenses contraintes pré-engagées pour les classes moyennes et les plus pauvres)
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- ou encore le changement de rapport à la consommation (ce qui était généralement vu autrefois comme une source de prestige social a aujourd’hui plus une connotation négative de gaspillage)
Mais attention : déconsommation ne veut pas dire décroissance. Les achats de biens physiques reculent mais pas ceux de services. Cécile Désaunay voit ainsi émerger une économie de la fonctionnalité où l’on n’achète plus une propriété mais un usage.
À l’image de Seb qui propose depuis 2015 la location d’appareils culinaires ou Philips qui vend en B2B un “service d’éclairage” plutôt que des ampoules… Mais on peut aussi citer Spotify, Netflix et toute la palanquée de SaaS (software as a service).
“L’an prochain, il faudrait renommer l’événement la School of Service”, conclut-elle. Bon, même si, par un énigmatique abus de langage, le “produit” est aujourd’hui déjà synonyme de service pour la majorité des boîtes tech !
2. “En user research, veut-on être acteur du changement ou chercher la vérité sur nos utilisateurs ?”
En parallèle de la conf’ sur la déconsommation, se déroulait une intervention sur la recherche utilisateur (oui, on a le don d’ubiquité… et surtout un bon dictaphone – merci au passage pour l’enregistrement au PM de Scaleway croisé à l’arrache 3min avant dans l’escalier 😂).
À la baguette, la spécialiste en recherche utilisateur Roxane Lacotte propose de nous rappeler aux bons souvenirs du jeu action ou vérité. Sans guitare sur la plage ni acné sur le visage. Mais plutôt en tant que user researcher.
Son constat : trop souvent, on passe son temps à creuser des insights sur les utilisateurs (= vérité), en pondant des centaines de slides qui finissent rapidement perdues au fin fond d’un Google Drive ou d’un Notion… sans que cela ne débouche sur des décisions concrètes (= actions). “Et c’est de notre faute !”, poursuit-elle.
Ses 3 leviers pour (enfin) avoir de l’impact ?
1) Ouvrir ses compétences
Ne pas seulement se cantonner à ses compétences de producteur/trice d’insights mais aussi développer ses capacités de facilitation et d’influence (“pour ne pas faire que livrer de la connaissance mais aussi aider à passer à l’action derrière”)
2) Revoir ses process
Pour reprendre les propos de Budi Tanrim, une recherche ne doit pas commencer par des questions… mais par des décisions ! Dit autrement, il faut partir en recherche APRÈS s’être aligné avec les personnes de son équipe sur les décisions qu’il convient de prendre à une échéance donnée.
3) Mieux “packager” ses insights
Le job ne s’arrête pas quand on a présenté son Powerpoint aux parties prenantes. Il convient de faire le petit effort supplémentaire pour vraiment orienter les décisions. “Il faut que ça transpire l’urgence à agir”, illustre Roxane.
Alors, action ou vérité ?
3. “Et vos pires vanity metrics sont…”
Le Ticket animait aussi une table-ronde cette année – une première ! Le thème : la data dans le produit. Avec, face à Madeline Plard et Estelle Aubouin, Fanny Des Jamonière, Lead Product Manager de ManoMano et Louisa Berthomier, ex CPO de Mym.
La conversation intégrale sera prochainement disponible en podcast mais voici un avant-goût, avec la question finale sur leurs vanity metrics (indicateurs de vanité) préférées :
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- Fanny : Le nombre de téléchargements. “On était surexcités quand on a franchi le cap du million. Sauf qu’en réalité, cela ne veut rien dire si personne n’utilise l’application. C’est vraiment l’usage qui importe. On préfère largement le nombre d’utilisateurs actifs mensuels (MAU)”
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- Louisa : Le revenu moyen par utilisateur (ARPU). “Ce n’est en effet pas forcément une bonne nouvelle s’il augmente car cela peut signifier que l’on perd des utilisateurs. À l’inverse, j’ai vécu une période où l’ARPU diminuait alors que les revenus et le nombre d’utilisateurs augmentaient. La raison ? On avait mis en place des codes promos qui diminuaient effectivement le panier moyen mais qui boostaient d’autant plus notre activité”.
4. “Chez Meet my Mama, on a un PO tech et un PO social”
La conf surprise (et surprenante) de la journée. Loubna Ksibi est la cofondatrice du traiteur Meet my Mama (qui officiait juste après lors de la pause dej’), qui fait appel à des femmes (les “Mama”) du monde entier, souvent éloignées de l’emploi.
Surprenant en effet de voir comment cette diplômée de l’école de management Télécom et d’un master en numérique à Paris-Dauphine a répliqué les méthodes des produits de la tech au monde de l’économie sociale et solidaire… et comment elle repense la conception produit pour intégrer l’impact.
Morceaux choisis :
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- “Notre MVP, on l’a fait sans tech. Juste avec Facebook pour organiser nos premiers événements et Whatsapp pour les échanges avec les Mamas. On a aussi commencé dans des restaurants fermés certains jours de la semaine pour tester les Mamas, rencontrer nos premiers clients et faire des interviews utilisateurs”
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- “On a un PO tech et un PO social, qu’on appelle “Mama Manager”. Ce dernier utilise les mêmes méthodos pour résoudre des problèmes dans le parcours des Mamas (garde d’enfant, problème de mobilité). Il travaille avec des développeurs… d’impact. Ces derniers ont aussi un backlog et des sprints mais sur des sujets sociaux”
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- “Tous les trimestres, on organise des comités de co-construction produit avec les Mamas. À chaque fois, on installe aussi une chaise pour la planète. Afin que cette dernière soit présente dans la réflexion de ces comités !”
Un vrai bel exemple de tech for good !
(Tu l’as ? Good… Bien / Bon…)
5. “Si j’étais dev’, je me dirais que les gens du produit sont… tout le temps sur Linkedin !”
Pour s’amuser pendant le repas, on a mené un petit micro-trottoir sous format podcast, avec des débuts de phrase à compléter un peu décalés sur le monde du produit. La spontanéité de cette réponse nous a bien fait rire.
Une autre ? “Le plus gros bullshit dans le monde du produit, c’est… Meetic”. Visiblement venant d’une personne célib’…
6. “À l’échelle où nous travaillons, quand on fait de la 💩, on ne casse pas juste du code, on casse des gens” (Mike Monteiro, designer et auteur de Ruined by design)
La palme du titre de conf’ le plus attrayant est attribuée à… Hélène Gloux pour “Stop bullshit : pourquoi votre produit n’a aucun impact sur la société” (un conseil pour les futur·es speakers : avoir “bullshit” dans son titre assure au moins la moitié du remplissage de sa salle).
Celle qui a passé plus de 12 ans dans le produit, dont quatre au sein de l’entreprise à mission Brigad (cf notre podcast Épique avec elle), tient en effet à préciser un point important : un produit “responsable” ne veut pas forcément dire “à impact”, sous entendu sociétal. Pour affiner le sujet, elle propose une réflexion autour de ces quelques points :
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- Toujours réfléchir en termes d’impact voulu… et impact subi !
“Toutes les entreprises ont des externalités négatives, c’est le propre de l’activité humaine. Ce sont comme des bugs ou de la dette technique… sauf qu’on ne peut pas les corriger”
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- Faire le petit test de personnalité “des Mazery” du produit responsable (du nom de l’auteur de Responsables)
Pour être responsable, un produit doit comporter 8 caractéristiques : être honnête, méritant (apporte plus qu’il ne coûte aux utilisateurs), ouvert (accessible / inclusif), préserver ses utilisateurs des conséquences néfastes de son utilisation, être fiable côté données et prédictible (transparence de fonctionnement) + être frugal (empreinte environnementale) et équilibré économiquement (ne crée pas de dépendance économique ou d’exploitation des utilisateurs).
Tu connais un produit qui coche toutes ces cases ? (Nous, on cherche encore…)
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- Dissocier ego-centric VS éco-centric (aka éviter le syndrôme du sauveur de l’humanité)
“On a une qualité en tant que PM, c’est qu’on est plutôt humble”, lance Hélène. Rires dans la salle. “Il faut plus qu’un excellent produit pour changer le monde. C’est pourquoi il faut bien faire la distinction entre ceux qui ont envie d’ÊTRE la solution et ceux qui veulent FAIRE PARTIE de la solution”
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- Chercher le Jobs-to-be-done émotionnel (et pas seulement fonctionnel) de vos personas
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- Ne pas faire un produit POUR les personnes mais AVEC les personnes
Elle cite ainsi l’association Entourage, présente l’an dernier à la School, qui aide les personnes isolées en précarité. Cette dernière ne permet pas de faire des dons financiers en ligne car… ce n’est pas ce dont on envie le public cible, représenté dans les décisions produit par un “comité de la rue”.
Concluons comme on a commencé, par une citation de Mike Monteiro : “Notre travail devrait être évalué à la lumière des problèmes que l’on résout sans en créer de nouveaux”.
7. “Construire sa vision produit en 5 jours avec la Product Vision Sprint”
La Product Vision Sprint ?! Voici son résumé en une slide :
Le concept est simple : en une semaine top chrono, tu chemines jour après jour pour aboutir à la vision produit de ta boîte. Une méthodo développée par la communauté australienne Product Coalition, qui en a fait un service de consulting depuis (le business des framework se porte bien, ne t’inquiète pas pour lui). Un article très complet l’explique en détail, en prenant l’exemple de Airbnb qui l’a déjà utilisé.
Au même titre que Capucine Borghese, Head of Product chez Lunii (qui conçoit sa célèbre conteuse pour enfants), qui a présenté son retour d’expériences dans cette conf. Si cela t’intéresse, on t’invite à revisionner la vidéo quand elle sera dispo ou cet épisode du podcast Clef de Voûte dans lequel elle en parle en une trentaine de minutes.
On te spoil juste la fin : Lunii a incarné sa vision produit dans un jeu de cartes. Et, le jeudi, au moment de la présentation des résultats, la fondatrice a fondu en larmes : l’équipe avait réussi à mettre les mots sur ce qu’elle avait en tête mais n’arrivait pas à conceptualiser. La puissance de l’intelligence collective ?
8. “Livrer un produit qui apporte de la valeur aux utilisateurs vaut 1 million de fois une explication du double diamant”
Autre façon de le dire en anglais : “The strategy is delivery !” C’est en effet ce qu’on disait à Chantal Donaldson-Foyer quand elle travaillait dans un service public en Angleterre.
Cette dernière, Group Product Manager chez Decathlon Digital, a en effet relaté le vie (difficile) des PM dans une orga qui passe du mode “IT” (client / fournisseur) à produit (centré sur la création d’impact business). En plus de faire leur travail habituel, ces derniers doivent être les acteurs de ce changement et convaincre de leur valeur ajoutée. Une thématique qui doit parler à pas mal de gens du produit dans des grands groupes…
Le sens de ces phrases en version française et anglaise ? Dans ce type d’orga, au lieu de perdre du temps à batailler pour expliquer ce qu’est le métier de product manager, mieux vaut convaincre en démontrant la valeur de son produit ! Pragmatique. On arrête l’horripilante “évangélisation” et en avant Guingamp !
9. “Clermont-Ferraaaaaaaand !!!!!”
On ne pouvait pas ne pas les mentionner. Qui ça ? La team Michelin ! Non seulement elle est venue en nombre à l’événement, mais en plus tout le monde était habillé avec le bon Hoodie bleu corpo. On les a chambré… et on s’est retrouvé à devoir faire leur photo de groupe – vous taggez le Ticket si vous la publiez sur Linkedin, hein 😉
Et, forcément, quand la dernière intervenante de la journée a demandé d’où les gens venaient, un cri strident a immédiatement retenti : “Clermont-Ferraaaannnnd !”. Place de Jaude represent.
10. “Who run the world ?” (Beyoncé)
Si on ne te l’avait pas dit en intro, l’aurais-tu remarqué ? On parle du panel 100 % féminin. Un choix assumé mais non revendiqué par l’équipe organisatrice, en réponse à “quelques événements cette année qui ne sont plus admissibles en 2023” nous dit-on (sous-entendu uniquement avec des mecs).
Un pari osé mais gagné : figure-toi qu’à la fin de la journée, on avait même oublié qu’on ne venait de voir que des femmes ! Preuve que la qualité de la conf’ a dépassé la simple question du genre des speakers.
D’autant qu’on n’a pas évoqué toutes les interventions. Nous avons par exemple eu d’excellents échos de l’intervention de Louisa Berthomier sur les KPI tree, de la table ronde de Laure Nilles (Yousign) et Pamela Corbin-Audoux (Decathlon) sur la diversité ou encore de la session sur les refontes techniques de Claire van de Voorde. Autant d’invitations à consulter les replays.
Sans oublier la super keynote d’Agnès Crepet (Fairphone) et Isabelle Huynh (La Clavette et Institut Transitions) sur la reconnexion du produit avec le vivant, via l’exemple du Fairphone. Avec une pointe de sarcasme appréciable (Illustration : “Jouez au Bingo de la durabilité : allumez votre TV et prenez un shot dès que vous entendez “recyclage” ou “neutre en carbone”. En une heure, vous êtes bourré !”).
Assurément un événement iconoclaste dans le paysage produit guidé par une vision romantique et sans concession du métier qui nous plaît bien. Et avec des partis pris radicaux. Il y a deux ans, ils prenaient le risque de repartir en physique alors que le COVID était encore bien présent au moment des préparatifs. L’an passé, ils frappaient un grand coup en invitant King Marty Cagan. Cette année, ils osent le panel non paritaire (une première pour une conf tech généraliste à notre connaissance) avec une ligne éditoriale résolument engagée.
De la liberté, des convictions et de l’humilité. Quoique involontaire, le clin d’œil malicieux d’Agnès Varda est très à propos.
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