Pour poursuivre notre série sur les contributeurs individuels, traversons l’Atlantique (enfin, via Twitter) et partons à la rencontre de Jackie Bavaro. Cette ancienne PM de Google et Head of PM de Asana (pendant plus de 8 ans quand même) est en effet l’autrice de deux ouvrages de référence en matière de carrière produit : Cracking the PM interview et Cracking the PM Career. Entrevue.

Cet article fait partie de notre dossier sur les contributeurs individuels que voici.

Bonjour Jackie. En France, on entend souvent qu’il y a une différence de prestige entre les deux grandes voies de carrière dans le produit : manager et contributeur individuel. Est-ce aussi le cas aux Etats-Unis ?

Jackie Bavaro : Déjà, je voulais vous remercier de m’avoir invitée à partager quelques réflexions sur le parcours carrière des Product Managers contributeurs individuels. J’adore aborder ce sujet parce que de nombreux PM ont l’impression qu’ils doivent absolument devenir manager pour faire une belle carrière. Mais ce n’est pas vrai. La gestion d’équipe est une façon de croître et d’élargir votre impact… mais il y en a beaucoup d’autres !

Les entreprises ouvrent souvent une voie de Principal PM. Il s’agit d’un niveau de contributeur individuel au-dessus des PM Senior, qui s’étend en parallèle des niveaux de direction produit. 

Les postes de Principal PM sont toutefois relativement rares, même aux États-Unis. En effet, les entreprises ne créent ce rôle que lorsqu’elles ont un besoin business nécessitant un.e PM très compétent.e et expérimenté.e qui peut alors avoir un impact considérable, avec quelques ingénieurs seulement.

Mais en effet, ces postes ne correspondent pas toujours à ceux des directeurs et directrices en termes de salaires et de prestige.

« J’aimerais encourager davantage de personnes à envisager une carrière de contributeur individuel. Cela peut être tout aussi gratifiant (émotionnellement et financièrement) » – Jackie Bavaro

Généralement, quelles sont les principales missions et attributions des Principal PM ?

J.B. : De ce que j’ai vu, les Principal PM sont particulièrement impliqué.e.s dans des rôles liés à la plateforme ou aux partenariats. Par exemple, lorsque Microsoft a établi un partenariat avec Facebook pour son moteur de recherche Bing, il était essentiel que chaque détail du produit et du lancement soit correct. Mais le travail d’ingé était suffisamment réduit pour qu’un Principal PM puisse tout gérer.

Cela dit, rappelons que les intitulés de poste dans le produit ne sont pas normalisés. Certaines entreprises donnent ainsi à des personnes le titre de Principal PM ou Partner PM, ce qui s’apparente à “PM Senior” dans d’autres.

« En tant que PM contributeur individuel, il est important de savoir de qui vous dépendez »

jackie bavaro

Existe-t-il un parcours carrière référent quand on parle de contribution individuelle ?

J.B. : De nombreuses personnes envisagent leur carrière en fonction des titres qu’elles obtiennent. Par exemple, en étant promu de PM Senior à Principal PM puis à Partner PM. J’encouragerais plutôt les personnes qui veulent être des contributeurs individuels à ignorer les titres et à penser plutôt à l’impact et à la rémunération. 

Pour ce qui est de l’impact, réfléchissez au type d’impact qui est le plus significatif pour vous. Voulez-vous travailler sur un produit qui est utilisé par un plus grand nombre de personnes ? Sur un produit en phase de démarrage ? Sur un produit dont votre famille a entendu parler ? L’impact social vous tient-il à cœur ? Voulez-vous travailler avec une technologie de pointe ? Voulez-vous travailler sur quelque chose de plus proche du consommateur ? Ces questions représentent autant de façons d’accroître votre impact, sans changer de titre.

En termes de rémunération, il faut savoir qu’un poste de senior PM dans l’une des entreprises techno qui paient le mieux sera bien mieux rémunéré qu’un Principal PM dans une entreprise moins avantageuse financièrement. Je conseille ce site www.levels.fyi pour savoir comment la rémunération varie selon les entreprises et les titres, afin de se faire une idée.

Comment faire pour impliquer les contributeurs individuels dans les décisions produit stratégiques ? L’accès au board des entreprises est réservé aux CPO, ce qui veut dire que la voie managériale est, de fait, la seule pour acter la stratégie au plus haut de la hiérarchie.

J.B. : Une grande différence entre les rôles de manager et de contributeur individuel est en effet le “scope”.

Un contributeur individuel peut être responsable d’un workflow client, tandis qu’un.e manager est responsable d’un ensemble de workflow et qu’une personne à un poste de direction est responsable d’un produit entier. Généralement, le scope est lié à la hiérarchie à laquelle tu reportes. Les PM ont tendance à participer aux discussions stratégiques à un ou deux niveaux au-dessus de leur propre champ d’action.

Par conséquent, en tant que PM contributeur individuel, il est important de savoir de qui vous dépendez. Si vous dépendez d’un.e head of product, vous avez beaucoup plus de chances d’être inclus dans la stratégie de l’entreprise que si vous dépendez d’un.e manager de niveau inférieur.

Est-ce que tu vois une évolution en la matière ces dernières années ? Comme une vague de personnes ne souhaitant plus être manager par exemple ?

J.B. : J’espère que davantage de personnes choisiront d’être contributrices individuelles, mais je n’ai pas remarqué de tendance particulière, non.

Dans d’autres disciplines, comme la tech ou le design, les contributeurs individuels peuvent faire des choses de leur propres mains. Les personnes qui occupent ces fonctions savent à tout ce dont elles devraient renoncer pour devenir manager et faire faire ce travail par d’autres personnes. Les PM font déjà faire du travail par d’autres en soi, donc le management apparaît comme une progression naturelle pour accroître son influence.

Cependant, d’après mon expérience, devenir un.e manager est un saut bien plus important qu’il n’y paraît. En tant que PM, je peux toujours œuvrer avec mon équipe pour concevoir “the right thing”. Mais en tant que manager, il y a de nombreuses situations où “the right thing” n’est pas la meilleure chose pour certains. Comme prendre la décision de ne pas augmenter une personne. Le management est un travail solitaire.

C’est également beaucoup plus difficile à passer à l’échelle : en tant que contributeur individuel, je peux devenir 10x plus rapide pour rédiger de bonnes specs. Mais, en tant que manager, je ne peux pas devenir 10x plus rapide dans mes rapports individuels hebdomadaires.

Au final, j’aimerais encourager davantage de personnes à envisager une carrière de contributeur individuel. Cela peut être tout aussi gratifiant (émotionnellement et financièrement) de se développer en changeant d’équipes produit que d’entrer dans la voie du management.


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