Kevin Platel et Guillaume Grillat, Principal Architect et Lead Tech Community Advocate chez leboncoin, ont assisté au festival South by Southwest, à Austin (Texas) en mars dernier. Compte-rendu de leurs apprentissages et de l’influence qu’aura l’événement sur la roadmap du leader des petites annonces.

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Ce que tu vas apprendre dans cet article sur les inspirations des leaders tech de leboncoin à la sortie de l’événement South by Southwest 2025 :

1- Une impression de réalisme désenchanté

2- Un parfum de changement d’ère

3- Les modèles de fondation seront-ils les grands gagnants de l’essor de l’IA ?

4- Les Small Language Models (SLM) sont-ils l’avenir des LLM ?

5- La galère de l’open source traditionnel

6- Ce que cela va changer pour la stratégie de leboncoin


C’est un OVNI dans le paysage tech et événementiel. Un kaléidoscope grandeur nature pour sentir les signaux faibles et anticiper les coups d’après. À mi-chemin entre festival musical et culturel et conférence de haut calibre, South by Southwest (“South by” pour les intimes) se tient depuis près de vingt ans à Austin, au Texas.

Kevin Platel et Guillaume Grillat de leboncoin étaient du voyage cette année. On leur confie la plume du Ticket pour qu’ils nous livrent leurs ressentis.

Guillaume Grillat (à gauche) et Kevin Platel (à droite), des envoyés spéciaux aux insights plein les poches

1- South by Southwest 2025 : Une impression de réalisme désenchanté

Il s’est toujours dégagé de South by Southwest une sensation de progrès. Ou comment la technologie permet de transformer positivement la société.

Dans ce contexte actuel de sidération politico-économique, on a ressenti cette année un changement d’ambiance. Avec un retour à l’America First et aux logiques financières et d’expansion, notamment des grosses plateformes américaines gourmandes en données.

On sent que la Tech n’a plus vraiment de boussole aujourd’hui. On a vu peu d’interventions sur les sujets DEI (Diversité, équité, inclusion »), ou sur le changement climatique, qui était un track spécifique l’année dernière.

2- Un parfum de changement d’ère

En corollaire, il s’est dégagé cette année un parfum de fin d’une ère industrielle. De changement de paradigme. De tournant. Où l’IA finalement n’est qu’un changement parmi d’autres, une forme d’accélérateur et de point de bascule entre une ère et la suivante. 

Il a d’ailleurs été intéressant de constater que l’IA était définie durant toute la semaine de conférence comme un acquis. C’est ça qui allait changer le monde. Sans remise en question. La vraie question étant plutôt : “COMMENT elle va changer le monde ?”. Avec d’un côté les enthousiastes et, de l’autre, les personnes méfiantes ou, du moins, attentives.

Exemple avec Will.I.am (NDLR : oui, le rappeur des Black Eyed Peas) qui a développé sa propre application d’IA. Non pas pour générer des contenus musicaux à la pelle mais pour réinventer son processus de création musicale. Il s’est par exemple créé des personas selon différentes régions du monde (Amérique latine, Afrique, Europe…) afin de voir s’il y a des marqueurs communs dans leurs goûts musicaux.

3- Les modèles de fondation seront-ils les grands gagnants de l’essor de l’IA ?

Parmi toutes les discussions sur le sujet IA, on retiendra les questions sur les interfaces. Aujourd’hui, les interactions avec l’IA générative tournent beaucoup autour des chatbots. Mais, pour beaucoup d’acteurs, ce n’est pas la finalité de l’interaction. À l’image de ce qu’a fait OpenAI, ce n’est qu’une étape qui a permis de démontrer que les LLM pouvaient ne pas être cantonnés simplement qu’aux scientifiques.

On a entendu des propos sur des expériences utilisateurs basées sur l’audio ou sur la robotique. L’occasion de bien comprendre que la techno n’est pas la finalité. Les GPU ne sont pas la finalité de l’informatique. Ceux qui ont changé le monde, ce ne sont pas les producteurs matériels comme IBM, HP ou Dell. Ce sont ceux qui ont démontré les usages comme Apple, Microsoft ou Google.

D’où cette question de fond : est-ce que ce sont OpenAI et les sociétés qui font des modèles fondationnels qui seront les grands gagnants économiques de cette prochaine ère ou ceux qui vont les utiliser pour créer des usages autour ?

Hideo Kojima, le créateur (entre autres) des jeux vidéos Metal Gear

4- Les Small Language Models (SLM) sont-ils l’avenir des LLM ?

On voit bien que les LLM actuels sont d’une part disproportionnés par rapport aux besoins des entreprises et, d’autre part, que leurs outputs (= ce que ces modèles ingèrent en entrée) ne sont pas adaptés, car ils ne sont pas entraînés sur les données des entreprises. Ce qui donne, in fine, des résultats décevants.

99% du Web public a été récupéré mais seulement une infime part du Web privé (tout le contenu derrière un login ou une authentification). Ce qui est la nouvelle frontière et cible des acteurs comme OpenAI ou Mistral, afin de pouvoir fournir des services en B2B.

L’autre solution reviendrait à utiliser des Small Languages Models, qui sont des modèles dérivés entraînés avec des données spécialisées, pour répondre à des besoins spécifiques. L’avantage ? Ils sont moins gourmands en énergie car ultra spécialisés et donc moins coûteux.

Autrement dit, au lieu d’avoir un gros modèle spécialiste, on aurait une multitude de petits agents spécialisés orchestrés par un LLM qui saura qui appeler, à quel moment et comment.

5- La galère de l’open source traditionnel

Avec la guerre des tranchées actuelle entre les grands acteurs de l’IA, on voit de plus en plus émerger un nouveau modèle d’open source en deux pans. 

D’un côté, une moindre collaboration avec des projets open source. De l’autre, le développement “d’open source privé”. C’est-à-dire des initiatives brandées comme telles mais pas vraiment réutilisables. Qui reposent ainsi plus sur des logiques d’acquisition et de marketing d’appel que sur de vraies valeurs communautaires.

On notera ici la table ronde rassemblant notamment le vice-président de la Wikimedia Foundation et un contributeur open-source Core de Ruby. Leur constat : la contribution open source stagne ou diminue depuis des décennies, en particulier parce que les jeunes se retrouvent avec la pression financière de leurs dettes d’études et ont donc moins de temps libre pour contribuer à des projets bénévoles. Et, en parallèle, les grands acteurs du numérique s’appuient sur les données en libre accès (Wikipédia, etc.) pour entraîner leurs IA génératives, parfois sans rétribution.

Chez leboncoin, nous utilisons déjà beaucoup de briques open source (Kubernetes, Kafka, frameworks en Go et en TypeScript, etc.). Mais notre contribution demeure sans doute trop modeste. Le SXSW nous rappelle que construire un futur plus sain pour le numérique passe par un engagement plus marqué de toutes les entreprises, grands groupes comme start-ups.

Bilan : Ce que cela va changer pour notre stratégie chez leboncoin

Concrètement, voici nos réflexions à la sortie de SXSW 2025 : 

  • La perception de l’accélération de l’IA

On a déjà beaucoup investi sur l’IA ces derniers temps chez leboncoin (inscription automatique, prédiction du poids ou des catégories des objets vendus, relation client…) et on va continuer. Mais il faut changer de rythme !

On peut aujourd’hui légitimement se demander si nos investissements sont dimensionnés à cet enjeu. Visiblement, on a peut-être sous-estimé le temps de déploiement de l’IA, en ne voulant pas se précipiter sur une techno qui n’était pas encore sèche. Comme l’ensemble du marché, l’IA est au cœur des discussions stratégiques, et il est encore difficile d’évaluer le poids nécessaire qu’on doit y mettre dans les prochains mois et années, mais la transformation est déjà à l’œuvre, et elle est globale. 

Avec, en réflexion de fond, des questionnements continus sur les notions de privacy et de consommation énergétique.

  • La nécessité de procéder à une sensibilisation collective de l’IA

Nécessairement, cela va sûrement amener à bousculer plus fort nos équipes que ce que l’on pensait initialement.

Ce qui va passer par un volet formation, afin de créer une véritable acculturation. Il ne s’agit pas juste de mettre des produits IA à disposition. Il faut que toute la boîte les comprenne, les utilise et sache en reconnaître les possibilités comme les limites. Il faut qu’on soit nous-mêmes en première ligne avant de mettre de l’IA dans les mains de nos utilisateurs. Sur ce sujet, on ne peut pas être attentiste. Il faut être proactif sur l’adoption de bonnes pratiques, et la direction Engineering n’aura pas vocation à être seule actrice de ce changement

  • Ne pas abandonner le champ des valeurs

C’est une petite musique lancinante qu’on entend ces derniers temps. Face aux États-Unis, il y a sûrement une voie intermédiaire à trouver en Europe avec une tech plus cadrée et plus protectrice des utilisateurs, notamment en matière de données.

Plus globalement, on voit que les grandes plateformes américaines sont en train d’arrêter d’investir dans le champ des valeurs. Un contrepied que l’on souhaite prendre en continuant notre engagement auprès, par exemple, des communautés Women in Tech ou Pride Tech.

Soutenir des espaces de collaborations est précieux pour aider nos collègues à être soi-même au bureau, et génère de l’apprentissage sur des bonnes pratiques engineering et product pour nos équipes. Voire en tissant des liens avec de nouveaux acteurs, comme Bluesky, dont la fondatrice s’est montrée très offensive lors de South By, sur la question des protocoles ouverts, afin de redonner le pouvoir aux utilisateurs.

Les 4 piliers pour guider la transformation technologique chez leboncoin :

– l’Automatisation (et l’autonomie)
– la Satisfaction (la qualité de service et la confiance),
– la Spécialisation (adapter nos produits aux verticales clés comme l’Immobilier, l’Automobile et le Re-commerce
– et l’Excellence Opérationnelle (FinOps, performance, observabilité, etc.)