Le Ticket est parti en reportage à Zurich le 6 novembre dernier, pour assister au Product Management Festival 2024. Voici notre compte-rendu, composé de rituels atypiques, de moments rafraîchissants et de tripot dans le train.
⌛ 8 min de lecture qui coule comme une fondue suisse
Ce que tu vas apprendre dans ce compte-rendu du Product Management Festival 2024 :
- Les 3 rituels de Coda pour gagner en efficacité (avec leurs templates)
- Les 4 initiatives de La Poste Suisse pour faire de la Data un générateur de business #Transfo
- Les façons de naviguer à travers les dynamiques organisationnelles chez Google
- Les enjeux d’un congé maternité dans une startup en hypercroissance
Chaque année, un millier de passionné·es de produit se retrouvent dans un grand complexe cinéma de Zurich, en Suisse, à l’occasion du Product Management Festival. Une des plus grandes conférences européennes du genre, organisée par Peak Product… racheté en juin dernier par le cabinet de conseil français Thiga.
Pour cette 12e édition, on ne change pas une recette qui marche : un panel avec des noms de boîte clinquants, des fauteuils douillets qui sentent bon le pot de pop corn qui s’est renversé par mégarde et des “Zooglers” (les employés, ex ou actuels, de Google à Zurich) à la pelle.
Rappelons que la métropole helvétique est le principal bastion en Europe du GAFA (5 000 salariés). Voici notre synthèse des moments forts de notre journée sur place, comme si tu y étais (sans le goût des Strudel dans le palais toutefois).
1) L’intervention la plus actionnable de la journée : les 3 rituels de Coda pour gagner en efficacité (avec les templates associés)
On commence par notre intervention préférée de la journée. Après 14 ans chez Google, l’Allemand Oliver Heckmann a rejoint la solution de travail collaboratif Coda, dans la Silicon Valley, en tant que Head of Engineering.
Son thème ? 3 rituels (utilisés chez Coda) pour améliorer ses résultats. Détaillons-les (avec leur template en lien).
Rituel 1 : Poser de meilleures questions avec l’Eigenquestion
Pour la faire simple, l’eigenquestion est la question ultime. Autrement dit, la question dont la réponse permet de résoudre toutes les questions connexes.
Oliver prend l’exemple de la planification de ses prochaines vacances estivales.
- Lui se pose la question : “Quand est-ce que l’on part ?” (car il veut se coordonner avec son équipe)
- Sa femme se demande : “Comment est-ce qu’on y va ?” (car elle ne supporte pas l’avion)
- Son fils s’interroge : “Combien de temps va-t-on partir ?” (car il ne veut pas quitter trop longtemps son amie).
L’eigenquestion qui permet de donner des éléments de réponse à toutes ces questions distinctes : “Où allons-nous en vacances ?”
Une façon de prendre un pas de recul sur un problème. Quand il travaillait pour le produit Google Flights, Oliver se rappelle qu’il avait procédé ainsi, devant les nombreuses questions de son équipe : “Est-ce qu’on affiche les prix de la classe business ?”, “Est-ce qu’on intègre le fait de pouvoir choisir sa compagnie préférée ?” etc.
La vraie eigenquestion : “Qui est notre première cible pour ce produit ?” Réponse : les voyageurs occasionnels. “Donc non, on n’affiche pas la classe business et non, on affiche le meilleur prix peu importe la compagnie”, résume-t-il. Efficace.
Rituel 2 : Forcer une priorisation implacable avec la règle du vote des 100$
Illustration vécue chez Coda (qui risque de parler à beaucoup) : tous les trimestres, l’équipe produit doit établir la priorisation de la vingtaine de projets demandés par les parties prenantes. Selon les dev’, il faut en choisir 2 ou 3 seulement. Après une semaine de délibération… 19 projets sont classés en prio P0 et 1 seul en prio P1 (rire dans la salle, “so true !” lâche notre voisine).
Le rituel utilisé tous les mois par Coda pour forcer les parties prenantes à choisir les vraies priorités ? Le système de vote de 100$.
Le principe est simple :
- Chaque partie prenante se voit remettre 100$ (on a déjà vu cela aussi avec des billets de Monopoly)
- Chacune doit les allouer sur ses projets privilégiés, sans voir l’investissement des autres
- L’allocation de tout le monde est révélée
Attention : Oliver conseille de ne pas forcément prendre les projets dans l’ordre. Cet exercice est juste une aide à la décision. Qui, de surcroît, permet de mesurer l’alignement des équipes si plusieurs y participent (Sales, Engineering, Direction etc.)
“Ce qui est révélateur, c’est que l’on retrouve souvent près de 80 % des projets sans aucune mise attribuée”, indique-t-il. Choisir, c’est renoncer.
Rituel 3 : accélérer les décision avec le Catalyst
Sûrement le rituel le plus important et puissant (mais difficile à appliquer). Chez Coda, le forum de décision a un nom : le “Catalyst”. Un concept qui permet de prendre “10x plus de décisions, 10x plus vite et 10x plus facilement”.
Comment ?
- En éliminant les participants non essentiels
- En abordant plusieurs sujets au sein d’une même réunion
- En automatisant le processus
En résumé, chaque semaine, tout le monde dispose de 3 créneaux de 1h sanctuarisés dans son agenda (lundi, mardi et jeudi à 13h) pour le Catalyst. La personne organisatrice indique les personnes dont elle a besoin pour prendre les décisions (Les 4 rôles du DACI renommés Driver, Makers, Braintrust et Interested), ce qui déclenche une notification Slack pour chacune d’entre elles. Un document de décision a également été structuré.
Tout est expliqué en détail dans ce document dont nous allons faire un résumé explicatif d’ici les prochaines semaines.
“Dans ma boîte, tout le monde veut être impliqué. À croire qu’ils adorent les réunions”, lancent une personne dans la salle. Réponse d’Oliver : “Tout le monde peut se joindre à ces catalysts. Mais nous devons noter au préalable notre niveau d’intérêt et respecter notre rôle attribué”.
2) La conf’ rafraîchissante de la journée : La transfo data de la Poste suisse
Une intervention de grand groupe pour varier un peu les plaisirs. En l’occurrence, la Poste Suisse (60 000 employés) qui n’est autre que… la meilleure du monde selon un organisme qui évolue les meilleurs services postaux (oui, ça existe !).
Sa (jeune) responsable du département Data (100 personnes), Kim Kordel, est venue expliquer quelques initiatives prises pour faire de la data un facteur de succès de la Poste de demain. Dit autrement : que son département soit moins un fournisseur de service qu’un générateur de business. Un bon choix : c’était humble et concret. Tout ce qu’on aime.
En voici 4 :
1- Ritualiser les “Data Brunch” et des “Data Beer”
“La meilleure façon de toucher le cœur d’une équipe, c’est de lui flatter l’estomac”, rigole Kim. Première mesure : instaurer un brunch d’équipe tous les trimestres et un verre d’équipe (ouvert aux autres départements) tous les jeudis soirs. Histoire de resserrer les liens et de mettre en confiance les personnes introverties.
2- Instaurer des OKR à l’échelle de l’équipe
Un classique. Même s’il convient de rappeler que ces Objectifs et Résultats Clés ont été établis avec le reste des équipes business afin de tirer dans le même sens.
3- Recruter des profils plus divers à Lisbonne et Lausanne
À l’origine, la majeure partie de l’équipe Data est située à Berne, la capitale helvétique, et parle (suisse) allemand. “Un manque de diversité qui peut poser des problèmes de recrutement à l’avenir”, confie Kim.
Les actions entreprises ? Recruter 20 personnes sur un campus à Lisbonne et à Lausanne, en axant sur la diversité et l’état d’esprit des talents. Ce qui oblige à faire de l’anglais la nouvelle langue par défaut de l’équipe.
4- Rendre la valeur ajoutée de la data plus tangible
“On a commencé à estimer la valeur business de tous nos projets, ce qu’on ne faisait pas du tout auparavant, et à construire un portfolio de nos produits data en les illustrant avec des business cases”, énumère Kim.
La conclusion de celle qui est arrivée en poste il y a deux ans et demi, à l’origine pour s’occuper de l’Internet des objets ? Ne pas négliger l’humour ! “Une transfo est déjà assez difficile comme cela. Il faut faire une place à l’humour pour faciliter les choses”. Vraiment tout ce qu’on aime.
3) Le graphique de la journée : les orgas caricaturales de Google, Amazon, Microsoft…
On reconnaît parfois l’influence d’une personne… à son adresse email ! C’est le cas de Fabrice Caillette, Senior Director of Engineering de Google à Zurich qui a réussi à choper le fab@google. Classe.
Il faut dire que cet ingé français bosse pour la firme de Mountain View depuis 18 ans ! À cette époque, Google comptait à peine 15 000 employés (contre plus de 180 000 aujourd’hui).
Son graphique sur les systèmes hiérarchiques de 6 grosses boîtes US nous a bien fait rire (sympa l’ambiance chez Microsoft).
Son intervention portait en effet sur les dynamiques organisationnelles chez Google. Ce qui ne marche clairement pas quand il y a un problème dans une équipe ou dans l’orga selon lui ?
- L’ignorer (il ne fera qu’empirer)
- Essayer de changer la culture de l’entreprise (trop long)
- Intervenir en tant que leader, en mode micro management (pas soutenable dans le temps)
- Ajouter du reporting et des process (idem)
Il vaut mieux accepter que les choses ne soient pas parfaites. Et opter pour des objectifs moins ambitieux mais plus atteignables.
Il cite ainsi le concept de “moonshot” utilisé chez Google, que l’on pourrait traduire par “viser la lune”. En l’occurrence pour des projets qui révèlent une ambition de long terme mais dont la route est jalonnée d’incertitudes.
La meilleure façon d’y arriver ? Viser des “roofshots” (= des initiatives à hauteur d’un toit), des étapes intermédiaires plus accessibles. Le chemin sera moins linéaire mais la probabilité d’atteindre l’objectif final plus élevé.
Autre façon de ne pas se confronter à ce qu’il nomme “the organization headwind” (= l’inertie propre à la taille de chaque structure) : créer des équipes virtuelles qui vont outrepasser les différents niveaux de validation traditionnels pour avancer plus directement. “Ça marche tant que ça ne dure pas trop longtemps étant donné que cela court-circuite les managers”, prévient-il toutefois.
4) Le pas de côté de la journée : La difficulté de la maternité quand on est une femme dans une startup en hypercroissance
Son nom est Personio. Très peu connue en France, ce logiciel de gestion des ressources humaines tout-en-un est pourtant une des plus importantes licornes allemandes (2 000 employés, 8 Mds $ de valorisation).
En conclusion de la journée, sa première Product Manager, Katharina Friesen, aujourd’hui Head of Product, était sur scène pour raconter son parcours. Bon, au-delà du fait qu’elle était interrogée par son boss (weird, non ?), on a été “déçu en bien” (expression suisse = agréablement surpris) par sa longue évocation de l’enjeu de son congé maternité. Ou la difficulté d’être une femme trentenaire dans une startup en hypercroissance.
Un témoignage d’autant plus nécessaire qu’il est inhabituel dans une conf produit. Arrivée en 2016 dans ce qui n’est alors qu’une jeune startup d’une vingtaine de salariés à Munich, loin du bouillonnant écosystème tech berlinois, Katharina assiste aux levées de fonds et à l’arrivée de centaine de nouvelles recrues par mois.
En 2021, elle décide de faire une pause d’un an pour s’occuper de sa fille qui vient de naître. Mais son retour au boulot fut très compliqué. Entre-temps, la boîte a évidemment encore énormément grandi. Elle hérite d’une nouvelle aire produit avec une nouvelle manager.
Elle ressent également un décalage culturel. Personio vient de recruter une nouvelle CTPO, Maria Angelidou-Smith, ex VP Product de Meta, qui embauche à son tour des personnes de haut calibre de son réseau. “C’était intimidant de travailler avec des gens qui avaient de telles cartes de visite. Au point de me demander si j’allais réussir à être à la hauteur”, se demande-t-elle. Malgré ce retour compliqué, elle s’accroche. Avec la ferme intention de lutter en permanence contre le syndrôme du “C’était mieux avant”. Rôle modèle.
5) La réponse évidente de la journée : Quel est le pire pays au monde en matière de gestion de la paie ?
Au détour de son témoignage, Katharina Friesen indique que le premier marché de Personio est l’Allemagne, “le 2e pire marché du monde pour la gestion de la paie”. Question unanime de la salle : quel est le 1er ?
Sa réponse ? La France (ah bon ?! 😅)
Bonus – Le moment WTF de la journée
18h15. Train du retour. En train de commencer à rédiger le compte-rendu de la journée. Deux petites madames suisses allemandes s’installent à côté. La “septantaine”.
Elles s’ouvrent deux grandes canettes de bière. Et sortent le paquet de cartes. Rien de mieux que leurs incessants éclats de rire, au cours de ce tripot improvisé, pour réconforter les âmes du wagon, après la torpeur américaine du petit matin.
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