Sur le Ticket, on vous a parlé des orgas produit de BlaBlaCar ou de Deezer. On aurait pu en donner encore et encore… Finissons plutôt par une synthèse de Simon Joliveau-Breney, product strategist au sein de la société de conseil en PM Thiga.
Ce dernier a en effet co-signé en 2018 un livre sur le sujet, dans lequel une trentaine d’acteur/trices de l’écosystème sont interrogés. Interview.
Peux-tu commencer par nous faire un petit état des lieux actuel de l’écosystème en termes d’organisations produit ?
Simon Joliveau-Breney : On voit que les feature teams sont vraiment à la mode dans les scale-ups. C’est un modèle qui marche bien quand tu as un historique technique limité et qui permet de rendre les équipes autonomes tout en se rapprochant des besoins clients.
Les boîtes l’utilisent beaucoup aussi car elles ont toutes lu l’article de Spotify à l’époque et que le modèle en équipes composant ne donnait pas entière satisfaction.
Après, il faut bien voir que c’est très séduisant sur le papier mais que ce n’est pas si facile à mettre en place et à faire vivre. Par exemple, que fais-tu du mobile ? Est-ce que tu mets des développeurs iOs et Android dans chaque équipe, ce qui a un coût, ou tu gardes une équipe à part ? Dans ce cas, tu recrées des dépendances.
Certains arrêtent de se prendre la tête et font un patchwork entre des feature teams et quelques équipes composant autour, comme une équipe paiement par exemple (à ce sujet, voir notre interview de Marty Cagan sur les Empowered product teams).
Vois-tu d’autres modèles émergents, au-delà des feature teams ?
S.J.-B. : Oui, il y a celui des équipes impact, certes un peu moins présent encore, mais que l’on peut voir chez MeilleursAgents par exemple. Le principe, c’est que les équipes ne sont pas attachées à une fonctionnalité mais à un objectif d’affaires, comme l’optimisation d’une expérience utilisateur ou l’acquisition de clients.
L’un des problèmes en effet de la feature team, c’est que ton périmètre est ta fonctionnalité. Tu vas donc avoir tendance à auto-alimenter ton backlog (=liste de tâches) indéfiniment, même si celle-ci peut devenir moins importante dans le temps.
Avec les impact teams, les équipes sont dimensionnées en fonction d’objectifs à accomplir. Quand ces derniers sont atteints, elles en changent. C’est plus aligné sur la valeur d’affaires générée. L’inconvénient, c’est encore une fois la gestion des dépendances entre équipes.
Le modèle parfait n’existe donc pas…
S.J.-B. : Non. Mais après, il faut bien voir qu’une orga produit ne se résume pas qu’à une question de découpage d’équipes. Je pense même que ce n’est pas l’élément le plus structurant.
La vraie question, c’est de voir comment tu fais vivre concrètement ton modèle. C’est comme pour une équipe de foot : tu as le système de jeu puis l’animation effective sur le terrain. Une organisation est un organisme vivant, avec de l’humain dedans.
Un redécoupage peut-être ainsi hyper douloureux. Alors que, parfois, il suffit juste d’innover dans son animation ou de clarifier sa stratégie pour faire de grandes différences.
T’as un exemple ?
S.J.-B. : Oui, on peut parler d’un rituel que les boîtes qui atteignent une certaine échelle aiment beaucoup : la system démo (aussi appelée monthly review). Quand chaque équipe présente ce qu’elle a fait devant toute la boîte. Ça peut durer des heures, personne n’est vraiment content du format, personne n’aime le préparer… mais c’est le seul moyen de diffuser l’information largement.
En fait, rien qu’en posant la question à chacun de ce qu’il attend de ce type de réunion, tu te rends compte que tu peux la scinder par exemple. Une partie, plus technique, où tu peux parler de la vélocité de chaque équipe, où toute la boîte n’a pas nécessairement besoin d’être présente. Et une partie, plus courte et ludique, pour synchroniser tout le monde.
Un PM peut passer un temps fou au quotidien à faire des slides, à envoyer des mails, à essayer d’aligner tout le monde… (lire à ce sujet notre article sur les kermesses de Deezer)
Ce sont des petits trucs comme ça qui, mis bout à bout et optimisés, permettent de libérer un paquet d’heures et d’améliorer l’efficacité d’une organisation. Encore faut-il se questionner constamment sur ses pratiques et leur pertinence.
En rédigeant votre livre sur le sujet, vous avez interrogé beaucoup de personnes confrontées à ces enjeux. Qu’est-ce qui t’as le plus marqué personnellement ?
S.J.-B. : En fait, c’est marrant de constater que tout le monde se pose les mêmes questions : comment minimiser les dépendances, comment gérer la distinction entre discovery et delivery, comment rester agile tout en planifiant et en donnant de la visibilité sur ce que l’on fait (dans les boîtes qui grandissent, tu dois en effet souvent faire des roadmaps à plus long terme pour tes actionnaires ou pour des levées de fonds)… Mais les réponses, elles, sont hyper variées !
Et on voit que les gens expérimentent et itèrent très vite. Ce qui, au passage, est le meilleur moyen pour ne pas se tromper.
Depuis la sortie du livre, je pense que toutes les boîtes interrogées ont déjà changé plusieurs fois d’organisation. Pas forcément dans leur découpage, mais plutôt avec des nouveaux comités, des nouveaux rôles (comme les product ops), des nouveaux parcours de carrière…
Même nous, on a revu notre approche, notamment au sujet des postes de PO et PM, qu’on préconise de plus en plus fortement de fusionner désormais, lorsque la situation le permet.
En résumé, je dirais qu’il existe plein de bonnes pratiques et de modèles intéressants, dont il faut s’inspirer. Tout l’enjeu est d’arriver à en tirer une organisation sur-mesure pour sa boîte.
Il était dans le Ticket :
Cet article est issu du Ticket n°003. On l’a publié avec ce sujet sur les différentes orgas produit de BlaBlaCar et la vision du VP Product de Deezer.
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