Aujourd’hui, on va parler de (Attention, gros buzzword du moment à venir dans 4…3…2…1…) No Code ! Utilisée à toutes les sauces et dans la bouche de tout(e) bon(ne) sales qui se respecte comme argument marketing, cette notion revêt toutefois une dimension bien moins bullshit.
Pour séparer le bon grain de l’ivraie, et comprendre en quoi le no code peut aider les PM, on jase avec Simon Robic, l’entrepreneur (barbu) de l’ouest, ex PM de iAdvize, aujourd’hui fondateur de Screeb et du podcast La NoCode Family.
(🕐 9 minutes de lecture au pied de la tour Bretagne)
Pour bien comprendre de quoi on parle, peux-tu nous dire déjà ce qu’est le no code à tes yeux ?
Simon Robic : C’est en effet une question intéressante car il existe autant de définitions que de personnes qui s’intéressent au sujet. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je commence tous mes épisodes de podcast en la posant aussi à mon invité(e) !
Moi, plus ça va et plus j’ai tendance à avoir une définition un peu double :
– Tout d’abord, c’est une façon de penser et de travailler avec des outils qui te permettent de construire des nouveaux produits. Soit destinés au public, soit utiles en interne pour améliorer tes process.
– Le 2e aspect, c’est que ça recouvre des choses qu’on ne pouvait pas faire avant sans compétences techniques. Ce n’est donc pas uniquement le fait qu’on n’a pas besoin de coder. Word, on n’a pas besoin de coder mais ce n’est pas du no code.
Quelles différences avec les outils WYSIWYG (What You See Is What You Get) ? Genre, WordPress ou Wix, c’est du no code ?
S.R. : En fait, c’est la suite logique. Quand tu prends l’histoire de l’informatique, au début, tu n’as qu’un petit nombre de personnes qui utilisent des machines très compliquées. Ensuite, on a eu l’informatique personnelle pour pouvoir organiser certaines tâches. Puis des logiciels ont simplifié progressivement tout ça. Et là, c’est l’évolution naturelle : on enlève encore une barrière.
Personnellement, je ne rentrerais pas WordPress et ce type d’outils dans le no code. Car il n’y a pas cette notion de création de nouveaux produits. Tu vas réussir à créer des sites Web ou des interfaces, mais tu n’auras pas cette notion de logique ou de traitement de la donnée dont tu peux avoir besoin pour créer vraiment un produit. Ça peut être une bonne base, mais il va falloir plugger des trucs dessus pour y arriver et tu retrouves alors cette barrière de la compétence technique.
À ton avis, pourquoi on en parle autant sur ces deux dernières années ? A-t-on affaire à un gros buzzword marketing ou est-ce que cela repose sur des éléments un peu plus factuels ?
S.R. : Je pense que, d’abord, c’est une vraie tendance de fond associée à des événements qui se sont passées dans le monde ces dernières années. Déjà, le fait que de plus en plus de personnes cherchent à être indépendantes et à trouver plus de liberté. D’où l’essor du freelancing.
Il y a eu aussi toute l’explosion de la créativité lors des confinements. On avait partout dans le monde des gens enfermés chez eux qui, au lieu de rester à tourner en rond, se sont mis à créer des projets. Et avec la réduction des barrières à l’entrée, ça a créé un cercle vertueux. On se dit : « Je vois des gens qui lancent des trucs sans savoir coder, ça veut dire que je suis capable, moi aussi, de le faire ». Ça a fait boule de neige.
La deuxième partie de l’explication, et c’est là où l’on rejoint le buzzword, c’est que, du coup, tu as beaucoup d’outils qui cherchent à surfer sur cette vague. Comme ce fut le cas, par le passé, pour la blockchain ou l’intelligence artificielle. Cela vient ajouter du bruit en plus.
Quelle est justement la part de bullshit, selon toi, dans cette tendance ?
S.R. : Bon, je ne vais pas faire du name and shame. Mais pour donner un exemple, il n’y a pas si longtemps, j’ai été contacté par une personne qui bosse au service marketing d’un éditeur de logiciel. Elle voulait intervenir dans le podcast. Je lui ai répondu : « Pourquoi pas, expliquez-moi juste ce que vous faites ».
Elle m’a alors parlé de son éditeur de chatbot (= robot conversationnel). Bon, il s’avère que c’est une industrie que je connais très bien après avoir bossé 5 ans chez iAdvize. Je sais donc que ça fait très longtemps qu’on n’a plus besoin de coder pour pouvoir développer des solutions conversationnelles avec ses clients, qu’elles soient automatisées ou non.
Je lui demande alors qu’est-ce qu’il y a de nouveau, pourquoi c’est no code… Et en fait, elle n’avait pas de réponse à ça. Tu sens que c’est vraiment utilisé parce que c’est ce qui fait vendre en ce moment. En mode, « Allez viens, on fout l’étiquette no code ». C’est bien sûr un exemple parmi tant d’autres.
Pour reprendre ton exemple de chatbot, c’est vrai qu’il n’y a pas besoin de coder en soi pour l’utiliser…
S.R. : Certes, ils ne mentent pas. Mais, il y a 3 ans, tu n’avais déjà pas besoin de coder pour utiliser un service équivalent. Et on ne parlait pas de no code à l’époque. Ce n’est pas juste parce qu’il ne faut pas coder que c’est un outil no code.
Screeb, le Saas sur lequel je travaille, il ne faut pas coder pour s’en servir. Pour autant, on ne met pas une étiquette no code car on est dans une industrie où cela fait longtemps qu’il ne faut pas coder pour ce type de service.
Il y a matière à débat évidemment et c’est pour ça que je m’oriente de plus en plus vers cette notion de création de produits internes ou externes.
À l’inverse, du coup, est-ce que tu as des exemples de boîtes qui sont vraiment dans une logique no code ?
S.R. : J’ai interrogé par exemple il y a quelque temps, dans le podcast, la fondatrice de Makezu, un Saas qui permet à des solopreneurs de repérer des conversations sur les réseaux sociaux dans lequelles ils pourraient avoir intérêt de participer pour vendre leur produit. En fait, tout le front (= interface) et une grande partie du produit est fait avec Bubble.
Ils ont quand même 2 dev’ dans l’équipe qui vont plutôt travailler sur la partie algorithmique, qui va déterminer ce qui fait qu’un tweet va être pertinent par rapport à un autre. Mais tout le reste du produit est fait sans avoir besoin de coder.
Le grand exemple que l’on cite tout le temps, c’est aussi Comet, la plateforme de mise en relation de freelance.
Pendant hyper longtemps, ils tournaient eux aussi sur Bubble et ont connu une belle croissance. Avant de basculer sur leur propre plateforme, pour des raisons de compétences et d’équipes internes.
On a l’impression que les solutions no code, c’est très bien à court voire moyen terme. Mais que, très vite, le pricing explose à mesure que ton produit décolle. Tu penses que ça peut être fait pour des modèles durables ou que c’est juste pour se lancer, tant que l’usage reste limité ?
S.R. : Franchement, les deux sont possibles. Dans certains cas, c’est en effet idéal pour prototyper rapidement et trouver ses premiers utilisateurs. Mais ensuite, quand tu vas vouloir accélérer, tu vas atteindre un plafond de verre. Et pour le faire sauter, il faudra se mettre à coder.
Et pour d’autres, les coûts d’un Bubble, Zapier, Webflow ou Integromat restent supportables, même durablement, comparativement à ceux d’une équipe et d’une infrastructure traditionnelle.
Regardez, vous, Le Ticket. Dans votre domaine, il y a Substack qui existe et qui prend un fee assez important sur les revenus. Mais en contrepartie, tu ne t’emmerdes pas avec la partie paiement, la landing page, la délivrabilité des mails etc. Si tu devais gérer tout ça tout seul, est-ce que ça coûterait forcément moins cher ?
(NLDR : pour info, nous, on n’est pas sur Substack mais sur un combo Sendinblue 🐔 / Notion / WordPress avec le bon vieux Excel des familles sur G-Doc).
Parlons un peu de product management. Globalement, quels sont les apports du no code pour les PM ?
S.R. : C’est difficile d’avoir une réponse générale car ça va évidemment dépendre de l’organisation dans laquelle tu bosses en tant que PM et du niveau de maturité de ton produit. (NDLR : ouais, pardon pour la question méga tarte à la crème…)
Si t’es PM sur un produit très jeune où il y a beaucoup de choses encore à faire, tu vas peut-être réussir à livrer des parties du produit directement pour les clients. Par exemple, tu bosses pour une solution Saas et tu réfléchis à sortir une appli mobile complémentaire. Tu pourrais très bien la réaliser avec Adalo ou Glide. Et elle pourrait bien vivre longtemps.
Si t’es PM dans une orga plus grande, on sera sûrement plus sur du POC (= Preuve de concept), du MVP (= Produit Minimum Viable), des outils internes etc. J’ai lu dernièrement votre article sur les plateformes de vaccination. Typiquement, chez Doctolib par exemple, ce serait difficile de penser à un outil no code à délivrer aux clients. Par contre, en interne, ils pourraient s’en servir pour faciliter la génération des attestations lors des dépassements des horaires de couvre-feu, par exemple.
J’ai interviewé un sales dans le podcast qui est très bien équipé avec Salesforce. Mais il a aussi utilisé Airtable pour aller collecter automatiquement des infos et créer une fiche simplifiée de ses clients, avant ses call avec ces derniers.
En fait, le gros intérêt, c’est de ne plus être dépendant des autres…
S.R.: Tout à fait. C’est d’ailleurs un peu comme ça que je suis entré dans l’univers no code personnellement. Je n’ai pas de background technique et c’est lors de side projects que je me suis rendu compte que je pouvais malgré tout tester des choses, les lancer, expérimenter par moi-même.
Et le fait de faire sauter cette barrière à la création peut d’ailleurs être bénéfique en termes de diversité. On ne va pas se mentir, dans les écoles techniques, on retrouve très peu de couleurs et très peu de femmes. C’est là, une des grandes opportunités du no code : péter ces plafonds de verre.
Si tu n’as pas eu les capacités financières ou sociales pour accéder à ce genre de chemin, et bien aujourd’hui, tu peux quand même faire des choses.
Je discutais récemment avec un mec qui est électrotechnicien dans la vie. Il s’est pris de passion pour le node code et, le soir, il bosse sur une appli mobile de curation de contenus autour du no code, faite avec Glide.
C’est devenu une référence dans le domaine. Alors qu’il n’avait aucune compétence informatique et qu’en tant qu’homme marié avec des enfants, cela n’était tout simplement pas envisageable pour lui de quitter son job pour reprendre des études de code.
En tant que PM, il y a forcément la question de la réaction des dev’, quand on montre ce qu’on a fait en no code, qui se pose…
S.R. : Je n’ai pas vraiment vécu ce type d’expérience mais c’est sûr que, dans les discussions, on sent une forme de mépris.
Je me rappelle du premier post qui annonçait la création de Dropbox sur Hacker News. T’as un gars qui avait répondu un truc du genre : « OK, mais si tu montes ton serveur ftp, tu peux faire la même chose gratuitement, je ne paierais jamais pour ça. » Bon, Dropbox a quand même pas mal marché depuis finalement…
En fait, c’est sûr qu’on pourrait toujours faire mieux et plus puissant en codant… Mais le no code permet d’aller plus vite. Et tu peux laisser faire aux dev’ ce qu’ils/elles préfèrent faire : la résolution de problèmes et la construction d’architrectures techniques complexes. En somme, de faire de la vraie création plutôt que de réinventer la roue en permanence.
N’y a-t-il pas un risque, du coup, que les PM se mettent à vouloir tout faire en no code pour faire gagner du temps aux dev’… quitte à passer moins de temps à faire ce qui est dans leur mission (travailler avec leurs parties prenantes, recherche utilisateur etc.) ?
S.R. : Je suis d’accord, effectivement. Ce qui nous amène à un point dont nous n’avons pas parlé. Aujourd’hui, je trouve que l’univers no code est encore trop tourné « outil ». Et pas assez sur le « à quoi ça sert ? » et le « pourquoi j’aurais intérêt à l’utiliser ? ». Autrement dit, on se concentre davantage sur le comment plutôt que sur le pourquoi.
Tout le boulot d’un(e) PM, c’est de définir en amont les priorités, identifier les problèmes et, seulement après, chercher le bon outil qui permettra de produire la solution. C’est un peu comme si on commençait par se demander quel framework ou quel type de base de données on va utiliser… avant de savoir le logiciel que l’on veut construire.
Je pense que cela vient du fait que ce sont des outils un peu nouveaux. Donc tu as une forme d’adrénaline liée à cette découverte. Mais il faut qu’on sorte de cette phase. Car si tu maîtrises des outils mais que tu ne sais pas trop pourquoi tu vas les utiliser, ça ne sert pas à grand chose.
As-tu un exemple d’usage concret qui pourrait bien s’appliquer pour un(e) PM ?
S.R. : On peut parler de la phase de recherche utilisateur. Tu veux rendre tes maquettes interactives pour voir comment les utilisateurs s’en servent. Et bien, tu vas pouvoir passer par Webflow, Bubble ou Atalo, si c’est du mobile, pour rendre le truc fonctionnel, tout en travaillant en totale autonomie. Puis, après, lors de l’étape de production, tu vas de nouveau aller travailler avec tes dev’.
Une invitée du podcast me disait qu’avoir Zapier ou Glide en compétences sur son CV deviendra à l’avenir aussi normal que Word ou Excel. Je suis tout à fait d’accord. Cela fera partie de la boîte à outils indispensable si tu veux pouvoir faire ton métier.
Toi, personnellement, quels sont les outils no code que tu utilises ?
S.R. : Paradoxalement, il n’y en a pas tant que ça. Je suis un gros utilisateur de Zapier. Je l’ai utilisé par exemple pour automatiser des alertes quand on a une dépense et qu’il faut mettre le justificatif au bon endroit. Ce genre de petits trucs à la con. J’en ai testé beaucoup néanmoins.
Glide, c’est génial pour créer des expériences mobiles simplement. Je trouve aussi fascinant ce qu’il est possible de réaliser sur Bubble. Même si la courbe d’apprentissage est un peu plus longue. Rien qu’avec ce triptyque, les possibilités sont gigantesques.
Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin sur le sujet, que conseilles-tu comme ressources ?
S.R. : Alors, il existe une communauté Slack No Code France qui est hyper bien. Pour ce qui est des outils, le site de référence aux Etats-Unis s’appelle MakerPad. En France, on a Contournement qui réunit pas mal d’experts autour des outils également.
Après, mon conseil serait de ne pas démarrer par les outils justement. Je recommendrais pour commencer d’aller écouter des podcast ou de regarder des vidéos, avec des gens qui ont FAIT des trucs grâce à des solutions no code. Pour comprendre comment ils les utilisent concrètement et voir si cela peut s’adapter à ses problèmes ou son organisation.
D’où l’idée de ton podcast sur le sujet…
S.R. : Oui. Je fais parler ceux qui font, qui se sont lancés sans savoir coder pour inspirer les autres et faire en sorte que l’on se dise : c’est possible !
Les outils mentionnés dans l’interview par Simon :
- Adalo – Pour construire une app
- Airtable – Pour faire des tableaux qui déboîtent
- Bubble – Pour faire un site
- Glide – Pour faire une app avec Google Sheets
- Integromat – cf Zapier
- Substack – Pour faire des newsletters
- Webflow – idem que Bubble
- Zapier – Pour automatiser des tâches
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