Afin d’écrire Le Ticket cette année, nous avons échangé avec des centaines de personnes du produit et consulté des centaines de ressources (podcasts, vidéos, livres, articles, rapports, publications Linkedin…) – si ce n’est pas des milliers. Essayons d’en faire ressortir les signaux plus ou moins faibles sur ce à quoi pourrait ressembler 2025 dans le produit. Avec un fil rouge : le produit ne suffit plus !

⏳ 6 min de lecture dans une boule de cristal

 ✉️ Article issu du Ticket n°093


Les 4 tendances produit 2025 évoquées :

1- Être Product Manager généraliste ne suffit plus

2- Les compétences d’hier ne suffisent plus

3- Un bon produit ne suffit plus

4- Faire du produit ne suffit plus


Avertissement avant lecture : une fois n’est pas coutume, on s’écarte légèrement du chemin factuel, base du journalisme, dans cette chronique de projection. 

Nulle ambition ici de vouloir proférer une quelconque vérité absolue. Nous cherchons juste à te partager la synthèse de nos insights du marché afin que cela puisse potentiellement nourrir ta réflexion. Voire que cela crée du débat !

1️⃣ Tendance 2025 n°1 : Être Product Manager généraliste ne suffit plus

“On a des Product Managers sur le bench qu’on n’arrive pas à placer depuis 4 mois. Ils sont très bons… mais trop généralistes”.

Cette confession récente d’un dirigeant de cabinet de conseil illustre une tendance de fond du marché, déjà évoquée en mars dernier dans un Ticket sur le marché du recrutement.

Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. D’une part, la plus grande maturité de l’écosystème produit. Il y a 5 ans, maîtriser les fondamentaux du Product Management était une denrée rare et, devant la pénurie, les entreprises étaient prêtes à former des novices. Aujourd’hui, le niveau moyen de compétences s’est élevé et il en faut plus pour se différencier.

“Les PM mid-senior ne sont plus des Pokémon rares”, illustre la recruteuse Marion Darnet.

D’autre part, le marché est moins tendu qu’il ne l’était. Les entreprises ont plus de choix et, entre 2 candidatures équivalentes, elles choisiront le profil qui aura la “couleur” la plus proche de ce qu’elle recherche. Avec une prime pour des composantes tech (data / IA) ou business (growth, product marketing).

Cette réalité est d’autant plus vraie pour les freelances. Combien nous ont dit avoir eu besoin de se spécialiser sur une niche ou un positionnement marketing pour trouver de la traction…

Attention : on ne dit ni que les profils généralistes sont en voie de disparition ni que les boîtes ne vont plus en rechercher à l’avenir. Tendance ne veut pas dire vérité absolue partout et tout le temps. On dit juste que si tu souhaites te démarquer dans ta carrière, la voie de la spécialisation est aujourd’hui nécessaire.

🔮 Notre Best Guess : 

En 2025, nous allons voir de plus en plus de profils product (notamment freelance) mettre en avant une spécialisation. Que cela soit : 

  • sectorielle (fintech, santé, retail…)
  • contextuelle (B2B / B2C, grand groupe / startup…)
  • thématique (refonte technique, impact, méthode liée à un livre…)
  • ou technique (API, Data, growth, stratégie…)

2️⃣ Tendance 2025 n°2 : Les compétences d’hier ne suffisent plus

“Avec l’IA, je me rends compte que mon métier dans 5 ans n’aura plus rien à voir avec ce que je fais aujourd’hui. Et que je vais devoir accepter de mettre de côté une bonne partie de ce que j’ai appris depuis une dizaine d’années”.

Le constat, entendu au détour d’une conversation dans un événement avec un PM d’expérience, est lucide. 

Bon, on commence à bien connaître la fameuse phrase “Les PM ne vont pas être remplacés par l’IA… mais par des PM qui maîtrisent l’IA”. OK, merci mais sinon, on en fait quoi de ça à part flipper sans solution ?

On voit ici 3 cas de figure : 

  • Le rejet – Les équipes produit qui se disent que ce n’est qu’une mode aussi éphémère que les NFT avec des cas d’usage grotesques ou (légitimement) que c’est une hérésie environnementale et sociétale
  • La crainte – Les équipes produit qui trouvent que cela va beaucoup trop vite et qui se demandent si leur job va encore exister dans quelques années, quand on voit que 25% du code poussé en prod’ par Google est déjà écrit par des LLM, que des outils comme Krisspy ou revo.pm (entre autres !) font de très bon wireframes, rédigent de très bonnes PRD ou permettent de traiter des feedback massivement
  • Le défrichage – Les équipes produit qui se demandent : “comment est-ce que je construirais mon business aujourd’hui si je devais le refaire de 0 ?” Un peu comme, début 2010, quand on se demandait comment reconstruire son produit pour une personne qui l’utiliserait sur un téléphone plutôt que sur son ordinateur. Avec des fails mais aussi des réussites significatives comme chez Gojob, Playplay, Mirakl etc.

Qu’on le veuille ou non, l’IA est une nouvelle corde à l’arc des PM afin d’augmenter sa productivité ou améliorer voire transformer son produit. 

L’enjeu ? Réussir à entrer et à naviguer intelligemment dans cet univers un peu chaotique pour l’heure, où le bon grain côtoie encore souvent l’ivraie. Autrement dit, d’avoir un guide qui permette d’appréhender de manière pédagogique cette nouvelle zone de compétence.  

D’où notre intention au Ticket de lancer en 2025 une verticale spéciale sur l’IA, en grande partie destinée aux membres Premium, pour prendre la main à la grande majorité des personnes qui ne savent pas par où commencer, en montrant l’envers du décors de cas d’usage concrets.

🔮 Notre best Guess : 

On va arrêter de faire croire que la notion de prompting va bien au-delà de la doc d’OpenAI (d’ailleurs à ce sujet, on te conseille ce site). Pour se concentrer, en tant que PM, sur les données d’évaluation qui ont alimenté le modèle… afin de bien comprendre ce que fait le LLM.

Et les agents IA seront LE buzzword de l’année 2025 (cf cette réflexion de Thibaud Elzière sur les dernières cohortes du Y Combinator).

3️⃣ Tendance 2025 n°3 : Un bon produit ne suffit plus

Durant nos années universitaires grenobloises, cette phrase (attribuée à Bill Gates) d’un professeur nous avait marqués : “Un produit ne marche pas parce qu’il est bon mais un produit est bon parce qu’il marche”.

Le cimetière des startups est en effet truffé d’excellents produits. Et le monde regorge de réussites business… aux produits bien pétés (SAP a doublé son cours de Bourse en un an. Sans commentaire…). On a pu s’en rendre compte dans notre étude sur les stack d’outils des équipes produit avec, parfois, une décorrélation assez forte entre l’usage et le NPS d’une solution. En bref, un bon produit n’est jamais suffisant. 

Pourquoi en faire une tendance cette année spécifiquement ? Car on a pu constater ces derniers temps des signaux montrant l’émergence tangible de l’intégration du go-to-market et du product marketing dans les stratégies produit des boîtes. Notamment par le biais des keynotes.

Nous avions parlé dans Le Ticket de la 1ère keynote de Doctolib en novembre 2023. Qui précédait celle de cette année.

Depuis, les exemples se sont multipliés. Partoo, Backmarket (avec ce très bon slogan “Rien de neuf, que du reconditionné”), Malt, Alan… Pour n’en citer que quelques-unes.

La première keynote d’Alan. Mais pas la dernière – source : Youtube

En marge des Product Awards, dont il était un des membres du jury, Thomas Rolf, le CPO d’Alan, nous confiait qu’il s’agissait en effet pour lui d’une tendance de l’industrie. 

Évidemment basée sur les exemples célèbres d’Apple, ou, plus récemment, de Airbnb. Mais qui reposait sur une volonté de raconter une histoire beaucoup plus forte via le produit. D’ailleurs, Alan parle désormais en interne de “chapitres” pour symboliser les deux keynotes envisagées l’an prochain. 

Ce mouvement d’un produit orienté “tech” à une approche plus tournée vers le Go to market, d’une fonctionnalité à une valeur business, implique un changement d’état d’esprit et de fonctionnement qui peuvent paraître contre-intuitifs pour des Product Managers. Cela implique en effet de fixer des échéances fixes à moyen terme… et s’y tenir !

🔮 Notre Best Guess :

Les keynotes et autres types de communications proactives autour du produit vont devenir progressivement une norme en 2025, en B2C comme en B2B. Les équipes produit devront autant s’intéresser à la conception qu’à la distribution et à l’onboarding de leur produit.

4️⃣  Tendance 2025 n°4 : Faire du produit ne suffit plus

“Product Management est le nouveau “agile” (ou pire, SAFE). Il s’agit d’une hype vide de sens alimentée par des consultants, des écoles et l’industrie des formations, des livres et des programmes de certification”. Ce tacle à la carotide provient d’un thread Reddit qui avait beaucoup fait causer aux États-Unis il y a 3 ans, intitulé “Product Management is becoming cringe”.

Sans vouloir remettre en cause l’utilité de la profession, son auteur tirait à boulets rouges sur le manque d’humilité et les postures idéalistes voire dogmatiques des Product qui ne jurent que par la stratégie, les frameworks et une posture fantasmée “à la Marty Cagan”.

On a comme l’impression que ce retour de bâton, après les années euphoriques d’émergence de la discipline, touche également la France et l’Europe ces derniers temps. Comme si les décisionnaires, conscients qu’une équipe produit leur coûte environ 1 million d’euros par an, ne voulaient plus payer pour voir.

Déjà, la Product-led Growth, stratégie de “productisation” de la conversion, de l’engagement, de la monétisation et de l’acquisition d’une boîte, a montré ses limites – et ce sont les auteurs d’un bouquin sur le sujet qui l’admettent. “La PLG ne suffit plus”, confirme Enzo Avigo, le CEO de June qui en était l’une de ses figures de proue en France, pointant une étude de McKinsey d’octobre 2023 qui souligne que seulement un tiers des 107 SaaS B2B cotés aux États-Unis sont product-led.

Même les boîtes symboliques de la PLG, Notion et Slack, ont pu tomber dans ce piège (paradoxal) de l’excellence de leur produit, à en croire Thibaud Elzière, le multi-entrepreneur derrière le startup studio Hexa (ex eFounders).

“Elles ont manqué une étape. Elles auraient pu embarquer des Sales bien plus tôt dans le jeu afin de capturer plus de valeur plus rapidement. Mais ça marchait tellement bien qu’ils ont laissé faire les choses naturellement”, expliquait-il au micro de Clef de Voûte en octobre dernier.

Au point même, pour Slack, de se faire défoncer par Microsoft Teams et son énorme capacité de distribution et force de frappe commerciale et son produit nettement meilleur.

Et encore, ce graphique s’arrête à 2019, dernière com’ de Slack sur ses chiffres d’usage (juste avant son rachat par Salesforce). Aujourd’hui, Teams dépasse les 300 millions de DAU (utilisateur actif quotidien) contre, semble-t-il, moins de 80 pour Slack ! Distribution is king.

​​Dit autrement, product-led et sales-led sont les deux faces de la même pièce. Le produit n’est pas le bien et les commerciaux le mal. Au risque de paraître très terre à terre, le rêve d’un SaaS ne devrait pas être de passer de “sales-led” à “product-led”… mais d’être “impact-led” !

Autre signal : le buzz autour du Founder Mode, tiré d’un coup de sang de Brian Chesky, le cofondateur de Airbnb, à propos de l’inertie de ses équipes produit.

“À partir d’un moment, tout devenait de plus en plus lent. On faisait un nombre incalculable d’AB Tests. Quand j’ouvrais l’app, j’avais l’impression qu’elle n’avait pas évolué depuis 4 ans. Alors que les coûts augmentaient et qu’on embauchait de plus en plus de monde. Il y avait plus de politique, plus de bureaucratie. On faisait des réunions à propos de réunions à propos de réunions,” témoigne-t-il dans un podcast de Lenny Rachitsky.

En cause ? Les nombreuses personnes qui ont lui conseillé, pour développer sa boîte, “d’embaucher des personnes de qualité et de leur laisser de l’espace pour qu’elles puissent faire leur travail”. Des “professional fakers !”  (que l’on pourrait traduire par “champion de l’esbroufe”), s’emporte sans nuance Paul Graham, le cofondateur du célèbre accélérateur américain Y Combinator, à l‘origine de cette expression de Founder Mode.

Un propos qui semble résonner avec quelques acteurs de ce côté-ci de l’Atlantique, en startups comme en grands groupes, à en croire des responsables qui expriment à couvert une certaine lassitude à laisser les clés du camion à leurs équipes produit, sans en percevoir les bénéfices sonnants et trébuchants.

Surtout dans un contexte plus tendu. L’enjeu de 2025 pour deux membres éminents du FrenchTech 120 interrogés récemment ? Survivre ! Ambiance…

Bon, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain malgré tout. Ce qui se joue ici, c’est moins la remise en cause du produit que son rééquilibrage dans une stratégie d’entreprise. “L’essence du métier, c’est de combler le fossé entre le business et la technologie”, résume Hugo Geissmann, le cofondateur du cabinet Thiga, dans cette publication sur Linkedin. On voyait le produit comme une fonction tech. Alors qu’il s’agit en réalité d’une fonction business.

🔮 Notre Best Guess : 

La notion de ROI dans le produit sera reine en 2025, avec des discussions autour de roadmaps mais également de business plan.

Que cela soit pour les équipes produit, qui devront manier le vocable business et financier pour justifier le retour sur investissement potentiel de leurs actions (pour la boîte et/ou l’utilisateur).

Comme pour les parties prenantes qui devront revêtir le costume de co-investisseurs du produit, comme l’explique Fabrice des Mazery, ex CPO de TheFork, dans une conf’ à Munich cet automne, intitulé “Act Like an Owner, Challenge Like a VC”.