Le Ticket s’intéresse au rôle de 1er ou 1ère Product Manager. Premier portrait de la série avec Thomas Vuchot qui a inauguré le bal produit chez Withings puis, en 2017, au sein de Qonto, la toute jeune licorne dans la banque en ligne. Ou comment monter dans un train lancé à toute vitesse.

Cet article fait partie du guide pour devenir 1er Product Manager

Salut Thomas. Pour commencer, peux-tu nous raconter ton recrutement en tant que premier Product Manager chez Qonto ?

Thomas Vuchot : À ce moment-là, je conseillais une boîte dans la distribution, mais je m’ennuyais fermement. Plusieurs personnes m’ont alors parlé de Qonto. Une amie était leur 1ère employée, mon ancien patron chez Withings était leur business angel…

J’étais très circonspect, je dois avouer. Une néo-banque ? C’est ridicule, il y a déjà Boursorama et plein d’autres acteurs. J’ai d’ailleurs signé mon contrat de travail avec cette conviction !

Mais j’ai été convaincu par les fondateurs qui ont une ambition inouïe et qui montraient qu’ils allaient vraiment se donner les moyens de leurs ambitions [NDLR : Qonto venait de lever 2 M€ en amorçage… ce qui était beaucoup pour l’époque !] A 30 ans, je voulais un truc où j’allais apprendre beaucoup et vite. Et, entre le 1er contact et la signature du contrat, il s’est passé 4 jours… 

Ah oui, ça va vite !

T.V.: On continue de faire des recrutements en une semaine encore aujourd’hui. Personnellement, cela m’a permis de ne pas trop cogiter. Et c’était un signal supplémentaire : les mecs foncent, ils savent ce qu’ils veulent !

Thomas Vuchot
Thomas Vuchot (Qonto) : « Très souvent, j’entends des personnes qui veulent rejoindre une boîte en tant que 1er PM pour avoir un grand niveau de responsabilité sur la roadmap et la stratégie produit. C’est faux la plupart du temps ! »

Est-ce que tu te rappelles des questions que tu as posées durant ton entretien ?

T.V.: En fait, la principale interrogation quand tu rejoins une startup en amorçage, c’est : est-ce que je peux avoir confiance dans cette équipe fondatrice ? En tant que 1er PM, le ratio risque / récompense est en général plutôt mauvais ! Tu as moins d’equity que les 1er tech et il y a de grandes chances pour que le projet foire. J’ai donc essayé de voir s’ils avaient le potentiel pour amener le projet loin.

Et bien entendu, il faut avoir envie de travailler ensemble ! Je voulais donc savoir en quoi ils avaient besoin de moi ? Pourquoi recruter un PM maintenant ? Qu’est-ce que je vais faire dans les 3, 6 et 12 prochains mois selon eux ? Est-on d’accord sur la conception du rôle ? Une chose était claire de leur part : cela allait demander un investissement personnel considérable. Ca tombait bien, c’est ce dont j’avais envie.

Tu arrives donc en tant que 8e employé. Est-ce que ta mission est de mettre en place la culture produit ?

T.V.: Non, pas vraiment. Il y en avait déjà une. J’avais plutôt le rôle d’accélérer les choses. C’est d’ailleurs un grand cliché : très souvent, j’entends des personnes qui veulent rejoindre une boîte en tant que 1er PM pour avoir un grand niveau de responsabilité sur la roadmap et la stratégie produit. C’est la plupart du temps faux !

Quand tu arrives à ce stade, tu rejoins des fondateurs qui ont une vision très claire du produit. En tout cas, bien plus avancée que la tienne.

Aujourd’hui, chez Qonto, les 35 PM ont une influence sur la roadmap bien plus grande que celle que j’avais quand je suis arrivé ! Cela paraît illogique mais c’est comme ça que ça se passe en pratique.

Et quelles ont été tes premières tâches concrètement ?

T.V.: Alors, déjà, je m’étais formé sur l’univers bancaire durant mon préavis. Pour pouvoir commencer à bosser sur des fonctionnalités dès mon arrivée. Car ce que je devais faire au début était assez évident : construire le produit !

Les fondateurs savaient exactement ce qu’ils voulaient, donc mon rôle était de réfléchir à faire les choses vite et bien. Autrement dit, maximiser l’effort tech.

En gros, on avait la roadmap sur un fichier Excel et l’idée n’était pas de faire des choses très innovantes et de réinventer la roue. Mais plutôt de proposer des fonctionnalités simples et bien supérieures que ce qui existait en terme d’UX. L’intuition joue énormément : j’ai dû concevoir des fonctionnalités à l’instinct, comme je savais que je n’aurais pas le temps de valider toutes mes hypothèses.

Sans faire de discovery ? Ce n’est pas vraiment ce qu’on entend généralement dans les bonnes pratiques produit.

T.V.: Je vais prendre un exemple. La première fonctionnalité sur laquelle j’ai travaillé, c’était le dépôt du capital social quand tu crées ta boîte. Ma discovery a été de comprendre les étapes obligatoires d’un point de vue réglementaire. En vrai, ça prend 2 jours. 

Toi, tu veux juste un truc qui marche bien. Et comme il y a tellement de choses à construire, tu n’as pas le temps de faire un mois de recherche pour chaque fonctionnalité.

Raisonner à l’instinct, ça veut quand même dire avoir un peu de bouteille. A ce sujet, quel est ton avis sur des juniors qui deviennent 1er ou 1ère PM ?

T.V.: Oui, d’autant que j’avais déjà une expérience de 1er PM chez Withings également. Généralement, je pense que c’est une mauvaise idée de prendre un rôle de 1er PM quand tu es junior. 

Tout d’abord, il faut être capable de défendre ses idées auprès des fondateurs. Ce qui demande une certaine légitimité.

Ensuite, il faut savoir que tu as généralement peu de temps pour réfléchir au début. Donc il faut être capable de prendre énormément de décisions à l’instinct, comme je le disais, en espérant qu’une majorité seront bonnes. Et ça, je ne vois pas d’autres moyens que l’expérience pour y arriver. Cela vient des situations que tu as déjà vues avant.

Selon moi, un bon profil de 1er PM, implique d’avoir au moins 4-5 d’expérience produit et l’envie de vivre une aventure entrepreneuriale.

« Il ne faut pas devenir 1er PM en se disant qu’on sera le CPO de la boîte à terme. Ça n’arrive que très rarement ! »

Thomas Vuchot (Qonto)

Un mot sur ta place dans l’équipe. Par définition, tu dois la créer voire, parfois, expliquer en interne ce qu’est le produit. Comment ça s’est passé dans ton cas ?

T.V.: A mon arrivée, il y avait un VP Engineering responsable de la partie technique. Honnêtement, il n’était pas forcément partant pour le recrutement d’un PM ! Il ne voulait pas avoir une personne dans les pattes qui lui dise quoi faire et l’assommer de rituels.

L’enjeu, pour moi, était donc de lui montrer que j’étais là pour l’aider et non pour lui imposer des choses. Que je n’étais pas un colleur de post-its. Que j’allais moi aussi mettre les mains dans le cambouis.

J’ai donc été hyper curieux, en essayant de comprendre comment tout fonctionnait. On est devenu très ami et je pense que ça a été une clé du succès. Une confiance réciproque s’est installée.

Quelle est la leçon que tu retires ici ?

T.V.: Il faut montrer que tu parles le même langage que les dev’. Et que tu es vraiment à leur service. Plus tu vas leur donner des spécifications précises et claires, plus ils seront efficaces.

D’ailleurs, tu es un peu la “sh*t umbrella” au début. Tu as énormément de bruit dans tous les sens et toi, tu dois t’assurer que les dev’ savent précisément vers où aller, sans le subir.

Un dernier mot sur l’évolution en tant que 1er ou 1ère PM. Toi, tu es devenu head of product quelques mois plus tard. Puis Principal PM aujourd’hui. Tu nous racontes cette trajectoire ?

T.V.: Alors déjà, il ne faut pas devenir 1er PM en se disant qu’on sera le CPO de la boîte à terme. Ça n’arrive que très rarement !

Chez Qonto, on a recruté une 2e personne au produit 4 mois après mon arrivée. Et en vrai, tous nos 1er PMs étaient dans cet état d’esprit entrepreneurial. On m’a ensuite proposé le poste de head of product. Je n’avais pas d’expérience de management donc c’était l’occasion. 

J’y suis resté 2 ans et demi, jusqu’à atteindre une équipe d’une quinzaine de PMs. Et après, en accord avec le CPO, je suis passé sur une trajectoire de contributeur individuel


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